En 1901, alors que l’essor industriel galopant autorise les rêves les plus fous, M.P. Shiel écrit un roman postapocalyptique inclassable et visionnaire, en contradiction totale avec son époque.
Après avoir accessoirement été complice d’un meurtre, Adam Jeffson atteint le Pôle Nord, seul ! Alors que, fier de son exploit, il revient vers le brise-glace qui l’a amené au plus près de son but, il se rend compte que tout représentant de la race humaine qu’il croise a succombé à un mystérieux phénomène.
Il décide de retourner vers le Sud, d’abord navigateur, puis conducteur de train ou d’automobile. Parmi des contrées où la nature est toujours parée de beauté, dans des villes silencieuses et lugubres, il ne rencontre que des cadavres. Au cours de ses pérégrinations, la lecture d’un journal lui apprend qu’un nuage pourpre issu d’une éruption volcanique et contenant des gaz cyanhydriques a décimé la race humaine, laissant derrière lui des émanations d’amande et de pêche qui ont la particularité de conserver les corps, ces corps qu’il décrit avec une fascination morbide et même parfois comme s’ils étaient encore vivants.
Pendant dix sept ans, il oscille entre ce qu’il appelle la force noire et la force blanche et côtoie la folie tandis qu’il retourne à l’état de bête, incendie ville après ville, puis construit son palais idéal sur une île ou il se croit enfin à l’abri de tout. Mais son obsession de vérifier qu’il est bien seul sur terre le reprend sans cesse, jusqu’à ce qu’il la rencontre.
La dernière partie du livre pose le problème de la légitimité de la race humaine, rarement évoqué dans ce genre de littérature d’une façon aussi tragique. En toute conscience, Adam a t-il le droit de la perpétuer au risque qu’elle réitère ses erreurs ?
Si l’on peut repérer ça et là quelques invraisemblances, noter que le héros, fort heureusement médecin, connaît miraculeusement tous les métiers ou encore admettre que les descriptions minutieuses des villes, paysages, maisons qui jalonnent le parcours d’Adam peuvent ralentir l’intrigue, il n’en faut pas moins reconnaître que le style de l’auteur est traversé par des passages éminemment poétiques, des visions flamboyantes et même des éclairs de génie. HP Lovecraft lui même était un grand admirateur de M.P. Shiel et de nombreux auteurs ont repris à sa suite ce thème de l’après-apocalypse qui rejoint les préoccupations de l’époque actuelle. En cela M.P. Shiel est un précurseur.
La démesure et le souffle qui traversent ce roman parfois controversé en font indiscutablement un ouvrage unique à découvrir, voire même un chef-d’oeuvre.
Il vient d’être réédité aux éditions de l’Arbre vengeur.
CB
chronique parue dans Gandahar 15 Créatures, premier contact en décembre 2018