Les Fables de l’Humpur
Pierre Bordage
1999
Véhir est un Grogne, être mi humain mi porcin. Il éprouve une vive attirance pour troïa Orn, la plus gracieuse des femelles du clan de Manac. Seulement, lors de la cérémonie du grut qui a lieu deux fois l’an, elle sera offerte à tous les vairats du clan, comme toutes les autres femelles reproductrices. Lui-même puceau, il veut être son “premier”, mais s’aperçoit, à son grand désespoir, qu’il a été supplanté par Graüm, un grand mâle expérimenté, avec la complicité de sa dulcinée.
Furieux et déçu, il brise les remparts de l’enclos de fécondité et s’enfuit. Dès lors, il est devenu un “Exclu” autant dire livré aux prédateurs de tous poils : Hurles, Miaules, Glapes…
C’est alors qu’il rencontre Jarit, un Grogne banni qui a fait sa tanière dans un ancien habitat humain. Les “Dieux humains” ont disparu de la surface de la terre mais ont laissé quelques vestiges de leur règne : des livres dans lesquels Véhir peut voir leurs portraits et une dague faite d’un métal brillant inconnu, que Jarit remet à Véhir en échange de la promesse qu’il se mette en quête de leurs origines. En effet, les lois de l’Humpur appliquées par les lais, prêtres jaloux de leurs pouvoirs et des secrets de leur religion, révoltent Véhir tout autant qu’elles titillent sa curiosité depuis toujours, inconscient qu’il est de ses facultés d’intelligence humaine.
Pris au piège par un groupe de prédateurs, Véhir transcende sa condition de proie, pour se défendre en faisant usage de la dague dont la puissance lui semble transmise à sa main par les dieux qui l’ont façonnée.
Forcé désormais d’aller de l’avant, il va faire maintes rencontres improbables et des liens d’amitié voire même d’amour interdit vont se nouer entre membres de clans différents jusqu’au dénouement de leur quête qui leur donnera les clés d’un monde à inventer.
L’écriture de ce récit est vive, inventive et pour tout dire addictionnelle. Les rebondissements incessants de l’intrigue nous attachent fortement aux personnages grâce aux émotions qu’ils suscitent en nous. On ne cesse d’avoir peur pour le courageux Véhir qui a su affronter et changer un destin tout tracé, pour Tya, la Hurle prédatrice dont il se rapproche au mépris de son instinct qui le lui désigne comme viande à ripaille, pour Ruogno le ronge, menteur et profiteur, qui transforme sa nature au contact de l’enjomineuse Ssassi la Siffle.
On notera au passage la régression du langage employé par nos compagnons, qui n’est pas sans évoquer les plus ou moins récentes réformes de l’orthographe…
Présenté comme de la Fantasy, ce roman comporte bien des aspects science-fictionnels également – on pense à La Ferme des animaux de George Orwell. Comme la plupart des romans de cet auteur, il offre une réflexion sous-jacente sur la condition de l’Homme et sa propension à se prendre pour un Dieu, sur les dérives de la science et les fanatismes religieux, sur la justice sociale et les dictatures.
Pierre Bordage a reçu en 2000 pour cet ouvrage le grand prix Paul-Féval de littérature populaire décerné par la Société des gens de lettres. Il a également reçu le prix Imaginales des lycéens en 2005. CB
Chronique parue dans Gandahar 23 en avril 2020