La Guerre du feu
JH Rosny Aîné - 1909
La tribu des Oulhamrs vient de subir une terrible défaite et la tribu rivale a détruit les trois cages contenant le feu. Depuis des générations, ils entretenaient la source du feu dans ces cages avec maintes précautions et un grand savoir-faire car ils étaient incapables de le faire surgir spontanément. Ils vont se retrouver obligés de se nourrir de viande crue et de grelotter la nuit. Après s’être retiré pour réfléchir, Faouhm, chef de la tribu promet sa nièce Gammla et sa succession à la tête de la tribu à celui qui leur rapportera le feu. Aussitôt, Naoh, le guerrier le plus grand et le plus agile, se porte volontaire car Gammla l’attire depuis des lunes. Mais un autre guerrier s’avance et tente de faire reculer Naoh. C’est Aghoo le velu, fils de l’Auroch, dont la force est légendaire.
Faouhm déclare que chacun des deux guerriers partira de son côté avec ses assistants et que le premier qui reviendra avec le feu deviendra le maître de Gammla et de la tribu.
S’ensuit un périple ponctué de maints obstacles. Entre l’ours gris, le tigre, le lion-tigre et la tigresse, les hommes des arbres, les mammouths, les Nains rouges, les Wah et pour finir Aghoo le velu et ses frères, Naoh, Nam et Gaw, les intrépides, devront faire preuve de ruse plus que de force pour arriver vainqueurs au bout de l’aventure.
La Guerre du feu, constamment réédité depuis sa première parution est un grand classique de ce qu’on appelle les romans préhistoriques, dans le genre Merveilleux scientifique, ancêtre de la science-fiction. Merveilleux parce que l’auteur avait toute latitude pour inventer des personnages et des interactions dont il ne restait aucune trace, scientifique parce qu’il fallait avoir des connaissances en paléontologie pour assoir le récit. D’autres auteurs se sont essayés dans le genre du roman préhistorique : Fernand Mysor dont nous avons publié dans Gandahar n°2 l’excellent roman Les Semeurs d’épouvante qui nous plonge dans la terreur permanente que vivaient les humains de cette époque face à une faune sauvage en pleine liberté, Claude Cenac et son cycle de la rivière rouge, Pierre Pelot avec Le Rêve de Lucy et la série Sous le vent du monde, Jean Auel et son célèbre Les Enfants de la terre, l’anthropologue Élisabeth Marshall Thomas avec La Lune des rennes et La femme sauvage… Ce ne sont que des exemples, il y en a bien d’autres.
Ce qui distingue Joseph Rosny Aîné, c’est son style, épique, poétique, qui donne à son récit un souffle magique, une puissance de vie extraordinaire. Le lecteur se glisse avec une grande facilité dans la peau de Naoh, son héros, l’un des premiers super-héros qui a influencé les jeux de nombreux petits garçons et suscité des vocations de paléontologues, comme celle de l’auteur Francis Carsac.
Les pages qui décrivent la nature et les animaux dénotent une connaissance approfondie de ces sujets et sont d’une grande beauté poétique :
« Le fleuve roulait dans sa force. À travers mille pays de pierres, d’herbes et d’arbres, il avait bu les sources, englouti les ruisseaux, dévoré les rivières. Les glaciers s’accumulaient pour lui dans les plis chagrins de la montagne, les sources filtraient aux cavernes, les torrents pourchassaient les granits, les grès ou les calcaires, les nuages dégorgeaient leurs éponges immenses et légères, les nappes se hâtaient sur leurs lits d’argile. Frais, écumeux et vite, lorsqu’il était dompté par les rives, il s’élargissait en lacs sur les terres plates ou distillait des marécages ; il fourchait autour des îles ; il rugissait en cataractes et sanglotait en rapides. Plein de vie, il fécondait la vie intarissable. Des régions tièdes aux régions fraîches, des alluvions nourries de forces myriadaires aux sols pauvres, surgissaient les peuples lourds de l’arbre : les hordes de figuiers, d’oliviers, de pins, de térébinthes, d’yeuses, les tribus de sycomores, de platanes, de châtaigniers, d’érables, de hêtres et de chênes, les troupeaux de noyers, d’abiès, de frênes, de bouleaux, les files de peupliers blancs, de peupliers noirs, de peupliers grisaille, de peupliers argentés, de peupliers trembles et les clans d’aulnes, de saules blancs, de saules pourpres, de saules glauques et de saules pleureurs. Dans sa profondeur s’agitait la multitude muette des mollusques, tapis dans leurs demeures de chaux et de nacre, des crustacés aux armures articulées, des poissons de course, qu’une flexion lance à travers l’eau pesante, aussi vite que la frégate sur les nues, des poissons flasques qui barbotent lentement dans la fange, des reptiles souples comme les roseaux ou opaques, rugueux et denses. Selon les saisons, les hasards de la tempête, des cataclysmes ou de la guerre, s’abattaient les masses triangulaires des grues, les troupes grasses des oies, les compagnies de canards verts, de sarcelles, de macreuses, de pluviers et de hérons, les peuplades d’hirondelles, de mouettes et de chevaliers ; les outardes, les cigognes, les cygnes, les flandrins, les courlis, les râles, les martins-pêcheurs et la foule inépuisable des passereaux. Vautours, corbeaux et corneilles s’éjouissaient aux charognes abondantes ; les aigles veillaient à la corne des nuages ; les faucons planaient sur leurs ailes tranchantes ; les éperviers ou les crécerelles filaient au-dessus des hautes cimes ; les milans surgissaient, furtifs, imprévus et lâches, et le grand duc, la chevêche, l’effraie trouaient les ténèbres sur leurs ailes de silence. »
Rosny Aîné est le pseudonyme littéraire de Joseph Henri Boex, écrivain d’origine belge, né à Bruxelles en 1856 et mort à Paris en 1940. Il collabora jusqu’en 1908, avec son frère – Rosny jeune – sous le pseudonyme commun de J.H. Rosny. Tout d’abord séduit par le naturalisme (Nell Horn, 1886), Rosny Aîné rompit bientôt avec Émile Zola (Manifeste contre la Terre, 1887) pour laisser libre cours à sa fertile imagination. Empreint d’une « passion poétique » pour la science, il se place aux deux extrémités du temps puisqu’il écrivit principalement des romans d’anticipation, qui font de lui un des précurseurs de la science-fiction en France (Les Xipéhuz, 1887 ; la Mort de la Terre, 1910 ; Les Navigateurs de l’infini, 1927 ; les Compagnons du cosmos, 1934), et des romans préhistoriques, qui évoquent l’humanité à ses débuts (Vamireh, 1892 ; Eyrimah, 1895 ; Les Origines, 1895 ; la Guerre du feu, 1911 ; Le Félin géant, 1920).
La Guerre du feu a été repris en bandes dessinées (2012 à 2014) et adapté pour la deuxième fois à l’écran par Jean-Jacques Annaud en 1981. Même si l’on sait maintenant qu’à l’époque où se situe ce roman, les hommes n’étaient pas de monstrueux hommes-singes agressifs et munis de gourdins mais plutôt de paisibles chasseurs-cueilleurs, ce roman n’a pas pris une ride et son succès ne se dément pas, encore aujourd’hui. CB
Chronique parue dans Gandahar 26 en décembre 2020