L’Anomalie
Hervé Le Tellier
Gallimard
L’Anomalie fait partie des quatre livres retenus pour la dernière sélection du prix Goncourt 2020. Pourtant, c’est un livre de science fiction, ce genre si dédaigné par les prix de la littérature “blanche”. C'est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle pour la science-fiction. À la fois bon et mauvais, à la fois mort et vivant, à la fois là et ailleurs...
L’auteur nous présente tout à tour six personnages qui ont des vies très différentes – dont l’un d’eux est d’ailleurs un écrivain qui vient d’écrire un livre titré L’Anomalie, jolie mise en abyme ! – jusqu’à ce que sans que rien ne nous l’ait laissé présager, ils soient arrêtés par la Police. C’est à partir de là que le roman bascule. Il est délicat d’en dire plus sur l’intrigue sans trop en dire et je souhaite préserver la surprise pour ceux qui voudraient le lire.
L’auteur, Hervé Le Tellier, est mathématicien et président de l’Oulipo (Ouvroir de Littérature Potentielle). C’est donc un familier du jeu intellectuel et de l’abstraction. Il mène son intrigue avec brio et glisse habilement nombre de références culturelles et géopolitiques dans son texte. Je repère au passage cette phrase qui m'enchante : « Il sait malgré tout qu'il suffira qu'une de ses phrases soit plus intelligente que lui pour que ce miracle fasse de lui un écrivain. » À noter aussi quelques impertinences jubilatoires à propos des religions et de plusieurs présidents de la République.
D’une certaine façon, l’auteur nous place en face nous-même et nous invite à réfléchir sur la numérisation extrême de notre société.
Cependant, si ce roman est effectivement un bon livre de science-fiction qui fait figure d’OVNI dans la “blanche”, pour les habitués du genre que nous sommes, il peut être facilement comparé à d’autres qui mériteraient davantage d’être distingués par ce prix si prestigieux qu’est le Goncourt.
En parallèle de la lecture de L’Anomalie, j’invite nos abonnés à relire Gandahar 9 Paradoxes temporels dont la dernière nouvelle, celle d’Anthony Boulanger, présente une chute du même ordre stylistique et qui n’est pas sans précéder celle de ce roman. CB
Chronique parue dans Gandahar 26 en décembre 2020