Arkane est une ville labyrinthique bâtie, selon la légende, par sept maisons toutes-puissantes. Les luxueux niveaux supérieurs sont occupés par un pouvoir corrompu et décadent, déchiré par les intrigues, la magie noire et les meurtres. Après le massacre de son clan, Oziel, fille de la maison du Drac, s'enfuit des Hauts de la ville. Traquée comme une maudite et sa tête mise à prix, elle espère gagner les Fonds afin de rejoindre son frère Matteo condamné au bagne et obtenir vengeance.Cependant, pour mener à bien sa quête, elle va devoir avancer masquée. (Tome I La Désolation, prix Imaginales 2018).
Dans le tome II, La Résurrection, on continue à suivre les chemins entrecroisés d’Oziel et Arjo qui tentent de retrouver Matteo croupissant au fond du bagne depuis sept ans, Renn l’enchanteur de pierre qui voyage avec Orik le fabuleux guerrier et Noy du Corridan qui abandonne sa personnalité, sous l’emprise de sa sulfureuse épouse Adamanta de l’Orbal, pour de sombres perspectives. Moult péripéties jalonnent le parcours de ces personnages majeurs tandis qu’avance vers Arkane la terrifiante armée du Nord.
Le monde d’Arkane est minutieusement décrit dans sa complexité. La ville repose sur un socle qui s’enfonce petit à petit dans les marais. Les bagnards des Fonds où a échu Matteo entassent des blocs de pierres destinés à consolider la base de la cité et se battent contre le temps pour ne pas finir écrasés. Les différents étages de la ville (les Fonds, les Bas, les Labeurs, les Marches, les Dits, les Hauts) reflètent des manières de vivre de plus en plus aisées au fur et à mesure qu’on s’élève et sont séparés par des labyrinthes (le Laz), afin de limiter et contrôler les passages d’un niveau à l’autre. La guilde des torcherons (porteurs de torches) est toute puissante sur le Laz.
Le caractère des différents protagonistes est travaillé en profondeur, ce qui nous les rend très attachants, mais certains personnages secondaires qui traversent le récit laissent également une empreinte très vivante.
Différentes religions ou sociétés secrètes influent sur l’imbroglio politique qu’est devenu l’oligarchie dominante : la Désolation, la Résurrection, la Congrégation de la Mère, les akchas.
L’histoire est contée à la manière d’un feuilleton comme Pierre Bordage sait si bien le faire (dans Les Derniers hommes par exemple, publié en six épisodes chez Librio, un par
mois, de janvier à juin 2000). À dessein peut-être, elle n’est pas sans rappeler Le Trône de fer, saga de fantasy culte due à George R. R. Martin : les sept familles qui s’entredéchirent ont elles aussi des animaux comme emblèmes, l’aigle, l’ours, le dauphin..., animaux qui peuvent investir certains personnages de leur pouvoir.
On notera aussi que les scènes sombres de ce livre sont décrites avec suffisamment de mesure pour le rendre accessible à de jeunes lecteurs, ce qui n’est pas toujours le cas chez cet auteur. On se rappellera des Guerriers du silence par exemple.
Avec Arkane, Pierre Bordage reste dans la lignée de ce qui le caractérise : richesse de l’intrigue et maîtrise du suspense, écriture inventive, personnages attachants, humanisme. Il nous transporte une fois de plus dans un monde étrange et palpitant.
CB
Chronique parue dans Gandahar 15 Créatures, premier contact en décembre 2018